Qui est Alessandro Grandi ?

Biographie par Dominique Moaty- extrait du livret Motets vénitiens

On dispose de peu d’éléments pour étudier la vie d’Alessandro Grandi.
Il semble qu’il soit né en 1586, en Vénétie ou à Ferrare, où l’on trouve les premières traces de contrat  le concernant : il est employé comme soprano à l’Academia della Morte. Il sera ensuite maître de chapelle dans la même académie, à un âge extrêmement précoce : certains disent onze ans, d’autres quatorze. Quoiqu’il en soit, il a très tôt des responsabilités dans cette prestigieuse académie.
En 1604, il est recruté comme giovanno di coro à Saint Marc de Venise, où il  reste au moins jusqu’en 1607. Il fait l’objet d’une dérogation pour l’obtention de ce travail, car il n’a que 18 ans : cet emploi est normalement confié à des chanteurs de plus de 20 ans. Dans le document attestant cette dérogation, il est fait mention du fait qu’elle est accordée en raison de l’exceptionnelle excellence de ce jeune musicien. Le giovanni di coro étaient présents chaque jour à Saint Marc; ils chantaient et psalmodiaient ; ce sont probablement eux qui interprétaient les messes dans le stile antico.
En 1610, Alessandro Grandi est nommé maître de chapelle de l’Académie du Saint Esprit à Ferrare et en 1615, maître de chapelle de la cathédrale de cette ville.
En 1617, il est à nouveau engagé à Saint Marc de Venise, comme chanteur à la chapelle ducale; les postes à Saint Marc sont à cette époque très recherchés. La Sérénissime recrute dans toutes les cours d’Europe, et insiste sur trois points  pour séduire les chanteurs: tout d’abord Saint Marc leur propose un contrat à vie, ensuite les chanteurs n’ont pas à chanter les jours ordinaires et enfin ils ont la possibilité de gagner de nombreux  cachets supplémentaires en se produisant dans d’autres églises vénitiennes. On trouve effectivement des traces de la présence de Grandi à l’extérieur de Saint Marc, notamment à San Rocco.
En 1618, il est nommé maître de chant à la chapelle ducale, puis, en 1620, vice-maître de chapelle à Saint-Marc. 
Grandi est alors l’assistant de Monteverdi ;  les deux hommes sont étroitement liés dans le travail, Grandi  dirige la Cappella lorsque Monteverdi est absent. Il doit aussi, lors de l’exécution de pièces polychorales, relayer la battue du maître de chapelle pour les musiciens de la première tribune.
Il exerce également la fonction de vice- maestro au sein de la compagnie qui gère les activités des chanteurs lorsqu’ils sont employés à l’extérieur de Saint Marc.
Un poème de Giuglio Strozzi, laisse supposer qu’une rivalité opposait les deux hommes : « En ces temps-là, rivaux, Grandi et Monteverdi se firent guerre, tantôt vêtus d’habits religieux, tantôt lors de chants lascifs, dans de si douces mélodies, de si rares sinfonie… De leur discorde illustre et chérie naquit, entre ces marbres où la Magicienne s’ingénie à attirer dans de chaudes flammes les plus réservés, la consonance ».
On ignore pourquoi Grandi souhaita quitter Venise. Il avait probablement envie de plus de responsabilités, de diriger son propre chœur et sentait que Monteverdi allait être son supérieur de nombreuses années encore. 
Lorsqu’un poste de Maître de chapelle se présente à Bergame, Grandi pose sa candidature. Il est élu à l’unanimité. Il  jouit alors d’une grande notoriété : lors de son arrivée, l’heure des vêpres est modifiée pour permettre à un plus grand nombre de fidèles d’y assister. 
Grandi publie, alors qu’il est en poste à Bergame, des œuvres pour grands effectifs ;  certaines d’entre elles avaient probablement été exécutées à Venise, mais on peut penser qu’il avait à Santa Maria Maggiore plus de possibilités de faire exécuter ce genre d’œuvres.
Il est certain qu’il a pu diffuser à Bergame les nouveaux modes d’écriture vocale. Il y enseigne le canto figurato.
La carrière d’Alessandro Grandi est malheureusement tragiquement écourtée : il meurt prématurément, ainsi que toute sa famille, au cours de l’épidémie de peste qui ravage l’Italie du Nord en 1630.
Sa carrière n’est pas seulement celle d’un compositeur renommé de musique religieuse. Il fut également  l’un des compositeurs de musique profane les plus en vogue de son temps. Ses deux livres de madrigali concertati furent de nombreuses fois réimprimés de son vivant. 
Il est le premier à avoir employé le terme «cantata» ; il fut également novateur en composant des mottetti avec sinfonie de deux violons : Schütz a eu connaissance de son œuvre (il l’a probablement rencontré lors de son premier voyage à Venise) et le cite à plusieurs reprises.
On lui doit de nombreuses messes, des livres de motets dans le stile concertato, et plusieurs livres de motets à voce sola avec ou sans sinfonie de violons.
Les nombreuses innovations stylistiques et l’intensité émotionnelle contenue dans son œuvre incitent à penser qu’il est urgent de le redécouvrir.
© Dominique Moaty